Gwenola Wagon

Que devient l'atelier d'artiste lorsque les IA génératives envahissent les espaces de la création comme de la pensée ? L'atelier est-il sur le point de disparaître, de se volatiliser dans le nuage qui s'exprime sur nos écrans, se volatiliser et, en même temps, se démultiplier parce que les IA génèrent toutes les variations possibles des ateliers connus ? Il suffit de leur donner une photo ou de leur demander l'atelier de Jackson Pollock et de faire varier les angles ou même les tableaux exposés pour obtenir des ateliers différents d'artistes différents. Un atelier est toujours le lieu d'une production artistique par un artiste. Bruce Nauman disait ainsi : « Ma conclusion était que j'étais un artiste et que j'étais dans l'atelier donc tout ce que je faisais dans l'atelier était nécessairement de l'art ».

J'ai toujours rêvé d'avoir un atelier. Je me disais, un jour, quand je serai une vraie artiste, j'aurai un atelier.

J'ai décidé de profiter de cette invitation au Fresnoy pour franchir le pas. Je voudrais vous proposer de franchir le pas ensemble et de penser ensemble un atelier, des ateliers possibles, les ateliers de celles qui en ont été dépossédées et ne sont pas devenues de vraies artistes : ateliers possibles d'artistes possibles.

Dans les années 2010, avec le collectif Nogo Voyages, j'ai commencé par déambuler dans des lieux familiers ou négligés. J'ai aussi arpenté le globe virtuel avec le film *Globodrome *(2011). Avec l'artiste Stéphane Degoutin, nous avons enquêté sur les infrastructures d'Internet, sondé les fantasmes d'un cerveau mondial dans les films *Cyborgs **dans la brume *(2012) et *World Brain *(2015), joué à détourner des machines dans *Random GPS *(2010) et *La maison qui vous veut du bien *(2022) et autopsié les névroses sécuritaires dans l'installation et le livre *Psychanalyse de l'aéroport international *(2019). Je me suis ensuite tournée vers les pratiques spirites du XIXe siècle pour comprendre la part spectrale des télécommunications dans les expositions

« Média Mediums» et « Haunted by Algo- rithms » co-organisées avec l'artiste Jeff Guess.

Dans la même perspective mêlant enquêtes et fictions, rationalités et spéculations, mon livre *Planète B *retrace la vie d'un entrepreneur milliardaire d'une plateforme monopolistique du numérique. J'ai également réalisé deux fables post-cybernétiques avec le philosophe Pierre Cassou-Noguès, *Erewhon *(2019), sur la bienveillance des machines, et *Virusland *(2021), sur les formes de vie induites par les dispositifs à l'ère de la viralité.

Mon film *Chroniques du soleil noir *(2023) marque mon travail autour des IA génératives. Il s'agit d'un conte écologique inspiré par les archives des premières observations astro- nomiques du soleil. Ce travail s'est prolongé dans un livre récent *Les Images pyromanes, théorie-fiction des IA génératives *(2025) avec Pierre Cassou-Noguès.

Les IA génératives m'intéressent dans leur capacité à produire ce que j 'appelle des

« anarchives », des images dans lesquelles ne joue plus la distinction entre inauthentique et authentique. Les IA génératives réalisent ainsi le rêve de tout faussaire. Elles se sont nourries de l'histoire de l'art mais réinscrivent aujourd'hui ces archives dans des anarchives plus vastes : des anarchives que ne dominent plus aucune autorité, des anarchives où les styles des artistes connaissent de nouvelles variations comme des nouvelles périodes, des anarchives où toutes les artistes méconnues, inconnues et même celles qui n'ont jamais existé peuvent prendre place. C'est dans cet espace que je voudrais trouver enfin un atelier.

Je réaliserai un documentaire sur une artiste spoliée de l'histoire récente de la peinture (réelle ou fictive, on ne le saura pas) et reconstituerai minutieusement cet atelier qu'elle n'a jamais eu.