
Artiste-professeur invité
2025 - 2026
Ana Vaz
Ana Vaz est une artiste et cinéaste née dans le Midwest brésilien habité par les fantômes enfouis par sa capitale moderniste : Brasília. Sa filmographie provoque et questionne le cinéma en tant qu'art de l'(in)visible et instrument capable de transformer la perception de l'humain, élargissant les connexions avec des formes de vie autres qu'humaines ou spectrales. Conséquences ou expansion de sa cinématographie, ses activités artistiques s'incarnent également dans l'écriture, la pédagogie critique, les installations ou les démarches collectives. Ses films ont été présentés à travers le monde, aussi bien dans des festivals de cinéma que dans des lieux d'exposition.
Elle est lauréate du Kazuko Trust Award (Film Society Lincoln Center) ainsi que du Robert E. Fulton Fellowship de l'université de Harvard. Ses films ont été primés au Cinéma du Réel (Há Terra!, 2016), à Punto de Vista (Apiyemiyekî?, 2019), au Media City et Frontier (Occidente, 2014). Ses œuvres font partie des collections du Cnap (Centre national des arts plastiques), de Kadist, du Frac Bretagne et de la Pinacoteca de São Paulo. En 2024-25, elle est pensionnaire à la Villa Médicis.
Hanabi, projet envisagé dans le cadre de son invitation au Fresnoy, est une histoire de radioactivité. Tourné au Japon sur une période de dix ans, le second long-métrage d'Ana Vaz après Il était une nuit en Amérique, observe un pays en proie à une menace mortelle mais intangible. Quelque chose a eu lieu mais la vie suit son cours ; Tokyo continue de se rénover et d'accroître son périmètre ; un sol nouveau remplace les terres irradiées ; des îles poussent dans l'océan Pacifique ; ouvriers, citoyens, ingénieurs, paysans, religieux s'attachent chacun à leur manière à soigner les traumatismes de leur communauté. Traversant cette constellation de témoignages et d'expériences, le Journal d'une cervelle radioactive de l'écrivaine Yoko Hasuke, écrit à la suite du tsunami et de la catastrophe nucléaire qui suivit le tremblement de terre de Tohoku, et dont Ana Vaz s'inspire librement en collaboration avec son autrice, fait entendre la voix ni tout à fait personnelle, ni tout à fait anonyme, de corps mutants que la peau ne protège plus, perdant leurs contours dans un dérèglement généralisé. [...]
Ce film, véritable voyage sensoriel, navigue entre le cinéma expérimental et le documentaire, utilisant une esthétique vibrante pour faire émerger une réflexion sur la subjectivité, le temps, l'écologie, la catastrophe, l'imaginaire, l'utopie. L'audace formelle de Vaz, combinée à son regard attentif et curieux, invite le spectateur à s'interroger sur l'intime et le collectif, sur la quête d'identité et la recherche de sens dans un monde dont les contours se dissolvent devant nos yeux. À travers une série de séquences hypnotiques, Hanabi s'affirme comme un poème visuel où chaque plan, chaque son, chaque geste est une invitation à se perdre et à se retrouver. Avec une sensibilité rare, Ana Vaz parvient à créer une œuvre à la fois universelle et profondément personnelle.
Le geste d'Ana Vaz fait écho au fukeiron, la théorie du paysage du cinéaste Masao Adachi qui retraçait la trajectoire d'un meurtrier à travers les lieux par lesquels il était passé, tout autant qu'à la pratique diaristique de l'avant-garde cinématographique, qui s'attache à lier l'individuel et le commun, le réel et le subjectif. Il faut en effet beaucoup de courage, de délicatesse et de talent pour réaliser un film sur les conséquences de cette catastrophe nucléaire dans un pays qui sans doute préférerait seul en assumer la faute. Mais cette histoire est celle du Japon autant que celle de n'importe quel être vivant, humain et non-humain. C'est l'histoire d'une écrivaine japonaise, d'un moine bouddhiste, d'un apiculteur autrefois constructeur de centrale nucléaire, d'habitantes évacuées, et d'une cinéaste devenue mère, toutes et tous confrontées à la nécessité de penser l'entropie d'un monde aux capacités de régénérations limitées. C'est l'histoire d'individus et de communautés que la catastrophe contraint toujours plus à s'atomiser, et à réinventer leurs relations.
Antoine Thirion